Psycho-Thérapeute Biarritz

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Le selfie et le Moi

Comme constaté dans le dernier essai de la psychanalyste et philosophe Elsa Godart “Je selfie donc je suis”, ce geste en apparence ludique et anodin, produit une révolution dans la construction de notre moi et dans nos rapports à l’autre.

Le selfie représente un tournant dans l’histoire de la pensée. Avec lui, nous passons de la société du «Je pense», marquée par la prédominance du logos, à celle du «Je vois, je suis vu». Je donne à voir au lieu de chercher à expliquer. Il influence aussi la construction du Moi dès le plus jeune âge. Le psychanalyste Jacques Lacan a élaboré le «stade du miroir», phase du développement où l’enfant découvre sa propre image dans le miroir et prend conscience de l’unité de son corps, de son être. Symboliquement, nous sommes passés du «stade du miroir» au «stade du selfie», moment où l’individu humain ne peut plus se concevoir sans son avatar, son autre moi : le moi virtuel.

Ce rapport au virtuel est illustré par l’acte simple qui consiste à faire un selfie et qui, sans que nous en ayons vraiment conscience, transforme peu à peu nos existences. Il est l’emblème parfait de la révolution des écrans, devenus d’incontournables médiateurs entre le «je» et le «tu». Surtout, contrairement à la photo traditionnelle, destinée à moi seul ou à mes proches, le selfie s’adresse à la multitude. C’est vrai, je peux en faire un juste pour moi, dans un mouvement purement narcissique, solitaire, mais, généralement, il est destiné à être partagé, commenté sur les réseaux sociaux. Hier encore, seules les célébrités avaient ce privilège. Aujourd’hui, avec le selfie, nous devenons des «marques» à promouvoir.

 

Dans selfie, il y a self, « soi ». 

Un selfie, ça se trafique, ça se met en scène. Ceux qui prétendent refléter la spontanéité de l’instant ne sont pas forcément spontanés ni sincères. Il y a une dimension de trompe-l’œil dans le selfie. On cherche à se montrer sous un aspect particulier, faussement naturel ou carrément factice. C’est un jeu de vérité et de mensonge. Et nous ne savons pas réellement ce que nous montrons de nous quand nous en postons un sur Internet. Notre image se fixe sur un écran et ne nous appartient plus. Ce que les autres voient et pensent nous échappe. Nous pouvons toujours nous défendre, protester (« Non, vous faites erreur, je ne suis pas celle que vous croyez »), ce moi « selfique », virtuel, l’emporte sur le réel. On peut y voir une quête identitaire, mais difficile d’imaginer que le questionnement puisse conduire à une réelle connaissance de soi.

 

Le selfie n’est, entre autres, qu’une tentative de contrôler son image.  Sa force réside incontestablement dans le fait qu’il nous donne l’impression d’être l’auteur de notre propre image, de la contrôler. Mais, simultanément, il signale le besoin que nous avons de l’autre, de son regard : combien de «like», de commentaires vais-je obtenir ? L’acte «selfique» peut être conçu comme un geste visant à se rassurer sur son image, or il n’y a jamais suffisamment de «like» pour éradiquer une mauvaise image de soi. Cela ne débouche pas forcément, comme on le croit, sur du contentement. Il peut être source d’angoisse. Le selfie est un peu comme ces poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres, car il suppose tout un ensemble de gestes, de réalités, invisibles au premier regard, dissimulés les uns dans les autres. Un peu comme les facettes multiples, contradictoires, voire insaisissables du moi.

 

Le selfie nous invite à photographier l’instant au lieu de le vivre, ce qui bouleverse le rapport au réel. Et, désormais, il touche toutes les couches sociales, dans tous les domaines (économique, politique, moral, culturel). Les personnages politiques « selfient ». La publicité s’en est emparée depuis longtemps. Des musées, des galeries lui consacrent des expositions. Les adolescents communiquent en s’envoyant des photos par l’application Snapchat. Avec les nouveaux Smartphone, les selfies s’animent, deviennent des petits films. Personne ne semble pouvoir échapper à la «révolution selfie». L’omniprésence dans nos vies du virtuel, des écrans, modifie nos représentations du temps et de l’espace, nous plonge souvent dans une confusion émotionnelle qui parasite nos capacités de réflexion. Dans un tel contexte, l’introspection, le questionnement et l’esprit critique ne sont pas des priorités…

 

Le selfie est-il dangereux pour le Moi ?

Il n’y a aucun problème à multiplier les selfies tant que nous nous soucions du sens de nos gestes, que nous ne nous laissons pas aliéner par ce climat d’émotionnel pur, pris dans un instant. L’objectif est d’inviter à la réflexion sur ce qui nous rend humains. Et c’est, par exemple, l’amour, le lien de corps, de chair avec l’autre qui est un des fondements de notre humanité.

 

Réveillez-vous, ne permettez pas aux écrans de faire écran entre vous, ne vous laissez pas engloutir par ce monde d’images !

 

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13/06/2016
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